Introduction

Nous proposons dans cet article un rituel de réparation pour les enfants non-nés de façon induite ou spontanée. Cet acte profondément guérisseur naît d’une expérience particulière qui a eu lieu au Centre Takiwasi, au Pérou, dans un cadre thérapeutique, et dont nous expliquerons la genèse.

L’expérience clinique de trois décennies nous a montré les conséquences sérieuses et parfois dramatiques des avortements dont les incidences physiques, psychiques et spirituelles sont souvent tenues sous silence ou largement sous-estimées. Le syndrome post-avortement est généralement tenu sous silence ou minoré par la communauté médicale. A l’inverse, lorsque la réparation s’effectue correctement, les bénéfices à ces trois niveaux sont patents.

Nous situant personnellement dans une démarche chrétienne, c’est dans cette spiritualité que nous avons puisé les prières d’accompagnement de ce rituel. Ceci dit, nous considérons que ces apports peuvent être modifiés, corrigés et enrichis. D’autre part, cette expression chrétienne n’engage que des chrétiens et n’implique pas que les personnes recourant à cette forme de réparation la partagent ou y adhèrent. Quant à la validité des formes chrétiennes de ce sacramental, nous nous soumettons à l’autorité de l’Eglise pour son appréciation.

Genèse

Vers l’an 2000, une femme française d’une soixantaine d’années, Françoise, prend contact avec moi par courrier et me demande de venir au Pérou, au Centre Takiwasi, afin de suivre un processus thérapeutique qui associe psychothérapie occidentale et usage des plantes médicinales amazoniennes. Cette démarche comprend entre autres techniques la prise d’Ayahuasca, mélange psychoactif ancestral qui joue un rôle essentiel dans les intiations indiennes et ici est intégré comme instruent d’exploration de la psyché profonde. Quand elle me décrit sa situation clinique, un cancer terminal des ovaires avec épanchement d’ascite, je lui signale l’impossibilité de la recevoir vu les risques encourus. Le voyage est pénible, le Centre Takiwasi n’est pas une clinique dotée de moyens médicaux suffisants pour s’occuper de ce genre de cas. Malgré son insistance, je maintiens mon refus. Elle me demande alors une entrevue lors de mon prochain voyage en France, ce que j’accepte.

Lorsque je la vois en France quelques temps plus tard, je trouve une femme avec un très mauvais état physique général et en même temps une volonté farouche de ne pas mourir sans savoir “de quoi elle meurt”. Son ventre proéminent ressemble à celui d’une femme enceinte, mais elle n’est grosse que d’un énorme épanchement d’ascite qui doit être ponctionné régulièrement. Je suis touché par sa demande qui n’est pas celle d’une guérison, quasiment imposible à ce stade, mais celle d’une compréhension de sa vie, des raisons qui la conduisent à la mort. Elle est prête à prendre le risque du voyage et sa famille accepte sa volonté, dût-elle décéder pendant son déplacement. Prenant alors les assurances nécessaires pour un rapatriement sanitaire éventuel et avec les garanties familiales d’une part et son engagement à suivre à la lettre mes indications, y inclus un retour précipité, j’accepte de l’aider à tenter d’obtenir une réponse à cette question existentielle fondamentale et vitale pour elle en l’accueillant au Pérou pour un séjour d’un mois. Françoise se fait faire une ponction d’ascite juste avant de monter dans l’avion. Elle supportera le voyage et arrive à Takiwasi pour suivre un processus thérapeutique avec l’Ayahuasca et d’autres plantes.

Lors de la première session d’Ayahuasca, elle perçoit un tremblement de terre, symboliquement un séisme se prépare intérieurement. Puis elle a une vision terrible : elle se voit habillée en officier SS ! Cette vision sera très éprouvante pour elle, elle ne comprend pas ce que cela signifie. Dans son histoire de vie elle n’a aucun lien personnel ou familial avec le régime nazi et les évènements de la deuxième guerre mondiale.

Les symboles Nazis apparaissent assez fréquemment lors de session d’Ayahuasca et signalent un culte actif à la Mort. La croix gammée, roue de la vie de l’hindouisme, est ici inversée et donc indique la “roue de la mort” . Il ne s’agit pas seulement d’une indifférence à la vie mais d’une façon active et volontaire de célébrer les forces de Thanatos. Quand je lui propose cette “lecture” le lendemain, elle n’associe pas encore cette symbolique avec quelque chose de précis pour elle.

La deuxième session d’Ayahuasca permettra de clarifier ce point et jouera un rôle central dans son processus. Elle entend une voix qu’elle identifie comme celle de la Sagesse et qui lui demande si elle veut vraiment savoir de quoi elle meurt. Elle répond “oui”. Alors la réponse vient : “Tu meurs de la mort que tu as semé dans ton ventre et dans le ventre des femmes”.

Françoise alors comprend. Vers l’âge de 20 ans, elle va rencontrer un homme de passage pour un soir et avec lequel elle aura une seule relation sexuelle. L’homme disparaît et elle se découvre enceinte. Son père la pousse à avorter de cet enfant non désiré et sans père… elle acccepte sous la pression et désamparée. Elle raconte alors comment se développe à partir de ce moment-là une haine des hommes cristallisée dans cet homme qui l’a abandonné et son propre père qui lui enjoint de tuer son enfant. Elle décide alors d’écarter les hommes de sa vie et n’entretiendra que des relations homosexuelles, sans jamais avoir d’autre enfant. Etant infirmière de profession, elle choisit « d’aider » d’autres femmes dans sa position alors que la loi française n’autorisait pas encore l’avortement. Elle les conduit à l’étranger où l’avortement est faisable et y consacrera sa vie.

La voix de la Sagesse se fait enseignante et lui dit alors : “Les enfants non-nés sont également non-morts car il faut naître pour mourir. La naissance c’est l’arrivée à la lumière du jour et la reconnaissance de l’unicité de l’enfant par ses parents et l’humanité, symbolisée à travers l’attribution d’un nom. L’âme de ces enfants est bloquée dans leur processus de vie, en attente de ce qui leur a fait défaut : un corps qui parvienne à la lumière du jour, la reconnaissance comme être humain singulier et le retour à la terre au moment de la mort. Veux-tu réparer tes fautes ?”. Elle acquiesce. Alors il lui est indiqué de réaliser un rituel qui reprendra ces étapes essentielles de la vie de tout être humain :
- Façonner un corps d’enfant dans de la glaise avec tout l’amour que l’enfant aurait dû recevoir lors de sa venue;
- Lui attribuer un nom unique;
- L’enterrer sur le bord de la petite rivière qui passe le long du Centre Takiwasi.

L’expérience clinique de trois décennies nous a montré les conséquences sérieuses et parfois dramatiques des avortements dont les incidences physiques, psychiques et spirituelles sont souvent tenues sous silence ou largement sous-estimées.

Après cette session bouleversante pour elle, Françoise me demande de réaliser ce rituel avec elle, non seulement pour le diriger mais aussi représenter la figure masculine positive qui a fait défaut dans sa vie. J’accepte en lui signalant qu’étant chrétien, catholique, je ne peux que lui proposer des prières inscrites dans mon expérience de vie spirituelle et qui fassent sens pour moi. Après son approbation, je prépare alors une série de lectures extraites de la Bible et de livres de prière chrétienne.

Le rituel se réalisera de manière conforme à sa vision et accompagné de prières et de la bénédiction du corps symbolisé de l’enfant et la bénédiction de Françoise représentant en même temps la Mère de ces enfants avortés. Françoise est très émue et sanglote.

A la troisième et dernière session d’Ayahuasca qui suit le rituel, Françoise voit une quantité de petits coeurs tout rouges monter de la terre vers le ciel. Ce sont les âmes libérées des enfants. Lui apparaît alors une grande bouche qui lui affirme : “Je suis la bouche qui prononce la Vérité. Tu peux me poser une seule question.” Elle demande alors “Vais-je guérir ?”. La réponse est immédiate : “Tu es guérie !”.

A la veille de son retour en France, Françoise a un rêve signifiant qui met un point final à son processus de guérison spirituelle. Elle se voit monter un cheval comme une guerrière valeureuse partant au combat, évoquant Jeanne d’Arc, et devant elle “refluent les armées nazies”.

Trois mois après son retour en France, je reçois un fax de Françoise qui commence par ces mots “Quand tu recevras ce fax je ne serai plus sur cette terre…” et suivent des remerciements pour sa “guérison”.

Commentaires: le rôle de l’Ayahuasca

Les sessions d’Ayahuasca sont conditionnées par divers facteurs (lieu du rituel, qualité du breuvage, dose, préparation du sujet, maîtrise du guide, etc.) mais à nos yeux l’essentiel réside dans l’intention du sujet. C’est celle-ci qui va orienter le processus et lui donner sens. La sincérité de celui qui prend l’Ayahuasca est fondamentale. La motivation de Françoise et son intention sont très claires et c’est cela qui me décidera à prendre le risque de la faire venir au Pérou malgré le contexte défavorable. Françoise, face à la proximité de sa mort, était très mobilisée, dans l’authenticité, et très loin de l’attitude d’une simple curieuse ou d‘une “touriste néo-chamanique”. Sa question était vitale pour elle. Elle ne demande pas à guérir physiquement (sans évidemment le rejeter pour autant) mais elle recherche d’abord et avant tout le sens de sa mort et donc de sa vie, sa demande est d’ordre spirituel.

L’Ayahuasca permet un processus progressif de compréhension et d’intégration du symbolisme qui surgit au fur et à mesure des sessions thérapeutiques. On perçoit clairement les étapes de ses trois sessions : annonce d’un bouleversement (d’une conversion devait-on dire) et prise de conscience douloureuse de sa faute ; enseignement sur sa faute et les moyens de la réparer ; rituel de réparation; libération et réponse à son attente de guérison; confirmation de la guérison-conversion. L’Ayahuasca est présentée traditionnellement comme une enseignante et on voit très bien ici la pédagogie qui guide le processus.

L’Ayahuasca joue ici un rôle de lien et ouverture au monde spirituel, ce n’est pas elle qui répond à proprement parler, mais elle facilite et permet cette communication avec “ce qui fait sens”. Face à Françoise se trouve la Voix de la Sagesse, la Voix de la Vérité qui transcende l’Ayahuasca elle-même et le contexte, et donne les réponses dans une sorte de dialogue essentiel, d’enseignement et de guidance transcendentales.

L’Ayahuasca s’exprime dans la psyché du sujet de façon symbolique, de même que dans le rêve final qui fait écho à la première vision (relation au nazisme). Ce symbolisme inclut toutes les dimensions de l’être, depuis le physique (sensation de séisme), l’émotionnel ou psycho-affectif (angoisses, peurs…), le spirituel (nazisme, Voix de la Sagesse et de la Vérité). Certains images ou auditions n’ont pas besoin d’interprétation et sont immédiatement claires pour le sujet, d’autres requièrent une lecture symbolique.

Le rôle du rituel

Le processus de Françoise comprend deux dimensions rituelles, celle menée avec les plantes et celle qui encadre la réparation qui lui a été indiquée. Toutes deux sont marquées par une rigueur de construction qui leur permet d’être opératoires. Le rituel de l’Ayahuasca à Takiwasi s’est élaboré au cours du temps d’abord, en fonction des enseignements des Anciens, maîtres guérisseurs d’Amazonie, qui nous ont transmis leur savoir et ensuite par les indications surgies dans notre processus personnel, à travers rêves et visions. On peut aussi apprécier que le rituel de réparation des avortements va se structurer à partir des indications fournies par la vision de Françoise, donc comme un enseignement et une exigence du monde spirituel. Il ne s’agit pas là d’une élaboration sentimentale ou esthétique mais de la mise en acte de procédés efficaces et précis qui trouvent leur justification dans le sens dont ils sont porteurs et leur cohérence profonde avec des lois spirituelles que Françoise ignore totalement sur le plan conscient. Autour de la structure impérative qui est indiquée demeure un espace d’expression personnelle (Françoise qui me demande de représenter le masculin positif ou moi-même qui choisit certains textes en fonction de ma sensibilité).

Le rituel assume une fonction d’interface entre le monde des réalités sensibles et celuis des réalités invisibles. Il instaure un champ délimité dans le temps et l’espace qui permet la conjonction ou coïncidence des espaces-temps. Cette “condensation” du rituel permet d’agir efficacement au-delà des limitations ordinaires de l’espace-temps. Ainsi pendant les sessions d’Ayahuasca, Françoise retrouvera en simultané des quantités d’avortement effectués sur de longues années mais ceux-ci seront “résumés” en “une faute” essentielle qui pourra être réparée par “un seul rituel”. De la même façon, un seul enfant modelé représentera tous les enfants victimes sans qu’il soit nécessaire de modeler autant d’enfants qu’il y a d’avortements à réparer: ce sont ensuite des quantités de petits coeurs qui se libèrent et confirment que la réparation les atteints tous.

Les symboles Nazis apparaissent assez fréquemment lors de session d’Ayahuasca et signalent un culte actif à la Mort.

Par ailleurs, le rituel de réparation, rituel de façonnement et d’enterrement, retrace en quelques instants toute la vie de ces enfants: gestation (modelage de la terre glaise), naissance à la lumière du jour, accueil au sein de la société des hommes (attribution d’un nom et bénédiction), mort et retour à la terre.

Enseignements sur le sens de l’avortement

En nous basant sur le vécu de Françoise, l’avortement provoqué correspond très exactement à un assassinat qui sème la mort non seulement chez ces enfants victimes mais aussi au coeur des personnes qui le décident ou le pratiquent. Françoise devient une personne qui sème la mort et elle en devient la première victime. Elle va devenir à la fois victime et bourreau, des autres mais aussi d’elle-même. Elle est désormais grosse d’ascite, une eau de mort. Les circonstances atténuantes qui entourent son acte intial (abandon du père de l’enfant et de son père, sa jeunesse, son ignorance, son désarroi face à cette situation inattendue) ne suppriment pas la faute qui demande réparation. De même sa “bonne volonté” pour “aider” d’autres femmes ne l’exonère pas de responsabilité et au contraire son choix délibéré de poursuivre dans cette voie confirme que son propre avortement consistait déjà à semer la mort comme elle le fera ensuite “dans le ventre des femmes”. C’est aussi que son geste “altruiste” envers d’autres femmes souffrantes est habité par une dimensión de haine réactionnelle à sa souffrance, haine vis-à-vis de son père et en général de tous les hommes. Elle décidera d’ailleurs de ne plus jamais avoir de relation affective et sexuelle avec des hommes et se déclarera lesbienne. Haine peut-être aussi envers elle-même qui n’a pas su dire “non” aux injonctions mortifères paternelles. Sa souffrance n’arrive pas à se transformer en amour, en compassion, pour éviter que d’autres femmes avortent, sachent résister aux pressions négatives de l’entourage humain et social, trouvent le soutien nécessaire qui leur fait défaut, et ne souffrent pas comme elle a souffert. Elle choisit de projeter sa haine sur ces autres hommes qui fécondent d’autres femmes de façon irresponsable, sans attribuer semble-t-il de co-irresponsabilité à ces femmes, et en quelque sorte de régler ses comptes avec son histoire douloureuse à travers d’autres victimes. C’est d’abord sa souffrance qu’elle veut traiter en oubliant à la fois son enfant avorté et ceux qu’elle va contribuer à éliminer, ainsi que le devenir de ces femmes qu’elle pousse au crime. La complicité de la mort va prendre le pas sur la complicité de la vie. On peut supposer également que sa charge de culpabilité pour son geste se trouve allégée dans cette justification “altruiste” envers ses semblables. La culpabilté partagée et “normalisée” devient moins pesante. Françoise ne trouve pas la voie du pardon, pardon qu’elle doit demander pour elle-même, à elle-même et à son enfant, et pardon qu’elle doit offrir à son père et, à l’homme qui l’a abandonnée. Car quelles que soient les circonstances qui ont entouré cette unique relation sexuelle avec cet homme anonyme, c’est bien elle-même qui a acceptée cet acte fécondateur qui ne lui a pas été imposé. Il est illustratif qu’elle incorpore d’elle-même le besoin de la présense d’une figure masculine positive dans le rituel et se laisse guider et diriger par un homme pour cet acte réparateur.

Ritual niño no nacido

L’allusion au nazisme le situe clairement dans l’ordre des génocides, de crime contre l’humanité. On pourrait penser que cette notion de génocide s’applique plus particulièrement à Françoise du fait du nombre d’avortements auxquels elle a participé mais ne correspondrait pas à un avortement isolé. Une autre expérience contredit cette interprétation. Un homme d’une quarantaine d’années qui a également suivi un processus avec l’Ayahuasca s’est trouvé très affecté lors d’une session en ayant des images terrifiantes du génocide du Rwanda. Après avoir accepté de participer par compassion au partage de cette souffrance du peuple Rwandais, il tente d’écarter en vain ces images insupportables et cette sensation très angoissante. N’ayant historiquement rien à voir avec ce tragique évènement politique et face à une souffrance intense, il se met intérieurement à réclamer en disant “Je n’ai rien fait de tel, je n’ai tué personne pour mériter de vivre cela!”. Cette voix sage qui se manifeste au travers de l‘Ayahuasca lui rétorque: “En es-tu sûr?”. Et alors surgit à sa mémoire un avortement de son propre enfant commis bien des années auparavant. Cet avortement unique lui est présenté comme du même ordre qu’un génocide collectif auquel il aurait collaboré. Le nombre d’avortements auxquels Françoise a participé se retrouve plutôt dans sa “qualité” d’officier nazi, pas un simple soldat mais une “gradée” dans les armées de la Mort.

Au-delà de l’image du génocide, l’avortement équivaut à un choix fondamental qui est celui du culte à la Mort. Il s’agit non seulement d’un refus passif de la Vie à travers la non-acceptation de la vie particulière de l’être en gestation mais d’un positionnement actif de culte rendu à l’Esprit de Mort.

L’avortement est présenté à Françoise comme une interruption non seulement d’un processus vital au sens physiologique du terme (ce que bien évidemment elle savait déjà) mais comme l’empêchement à la pleine réalisation spirituelle du devenir de chacun de ces enfants. Car ces enfants n’ont pas qu’un corps mais aussi une âme qui survit à la mort physique. La libération pleine de l’âme suppose une mort après être né à la lumière du jour. Il faut absolument et nécessairement que ces enfants naissent pour pouvoir mourir, c’est-à-dire franchir une autre étape de leur devenir spirituel. A défaut de l’accomplissement de cette loi spirituelle, leur âme survit mais ne peut achever le processus complet qui permettrait à leur âme de poursuivre leur itinéraire spirituel. Il faudra donc que le rituel comporte obligatoirement la présence matérielle d’un corps physique né de la terre et qui apparaisse à la lumière du jour après la gestation (modelage). La réparation s’achèvera avec le retour à la terre de ce corps né de la terre. L’enfant en gestation, bien que possèdant corps et âme, est donc “incomplet” sur le plan spirituel tant qu’il n’accède pas corps et âme à ce monde-ci. Il s’agirait en quelque sorte d’un avortement du corps et de l’âme, inséparables, ce pourquoi l’enfant, corps et âme, demeure “en attente”. Cet enfant est décrit, selon ce qu’a entendu Françoise comme étant dans un lieu de “transit”, en attente, sans pouvoir progresser dans sa réalisation spirituelle. Une fois le rituel de réparation effectué, ces âmes montent de la terre vers le ciel.

L’autre condition qui apparaît comme fondamentale consiste dans la reconnaissance de l’unicité de cet être par la collectivité humaine, en commençant bien sûr par ses propres parents. Cette singularité de chaque être humain est signifiée par l’attribution d’un prénom. C’est le signe de l’accueil, de la bienvenue, de l’acceptation de celui qui vient tel que la Vie l’offre. Son prénom sera prononcé à voix haute comme signe de son humanité reconnue. Comme nous venons de le dire, l’apparition au monde de l’enfant est d’ordre non seulement physique mais inclut la totalité de sa “nature” humaine y inclus sa dimension sociale ou fraternelle (psycho-affective) et sa dimension spirituelle, celle du « lien » avec les autres et le « Tout-Autre ». Son identité prend sens dans sa filiation humaine (sa lignée et plus loin celle de fils d’Adam et/ou d’Abraham pour les croyants) et sa filiation spirituelle (fils du Créateur).

L’enfouissement doit se faire dans la terre, près de la rivière qui coule à Takiwasi. On peut y voir le signe de l’abord d’un nouveau courant de vie après la mort. Une anecdote illustrative a été signalée par une autre femme qui a réalisé ensuite le même rituel. Après l’avortement provoqué qu’elle a effectué, elle n’a pas pu avoir d’autre enfant. Un jour, regardant la télévision, elle visionne un documentaire sur la pêche à la baleine. A moment donné, une baleine est hissée sur le pont du bateau au moyen d’une grue et, en pleine ascencion, le foetus d’un petit baleineau tombe de sa matrice et va se noyer dans la mer. Elle ressent une vive émotion et l’assimile immédiatement à la perte de son enfant. Après la réparation rituelle, elle a un rêve très émouvant où elle voit une baleine nager dans la petite rivière de Takiwasi et à ses côtés son petit baleineau vivant et joyeux, partant ensemble vers la mer. La réconciliation était signée et mère et enfant partaient ensemble vers une nouvelle vie destinée à rejoindre l’océan du « grand Tout ». La mise au monde, à ce monde-ci, n’est pas qu’un acte physiologique, mais un acte qui vise plus loin vers une destinée d’ordre spirituel, jusque vers l’autre monde, celui de l’union dans l’immensité de la Vie. L’avortement sépare les destinées de la mère et de l’enfant, dévie le cours spirituel de chacun, ampute mère et enfant de leur pleine réalisation spirituelle.

L’avortement constitue donc avant tout une transgression spirituelle majeure. Cela est tellement évident dans le vécu dont Françoise nous fait part, qu’à sa demande de guérison, qui sans doute dans son esprit incluait la possibilité d’une guérison physique, il lui est répondu qu’elle est déjà guérie alors que bien évidemment son état physique n’a pas changé et qu’elle décèdera quelques mois plus tard. Mais elle est en paix avec elle-même ce qu’elle confirmera dans son fax posthume. Et cette paix tient probablement au fait que dès le départ sa demande concernait le sens de sa maladie et que, sur ce point, elle s’est trouvée pleinement exaucée. La guérison physique aurait pu venir comme une grâce supplémentaire qu’elle aurait acceptée de bon gré, mais elle ne l’a pas posé comme condition de sa quête de sens. N’étant pas croyante, Françoise pose cependant une question d’ordre spirituel, sa quête est sémantique, elle se dirige vers le sens profond de sa pathologie, elle pressent que cette maladie fait sens et que celui-ci lui échappe. Ce faisant, elle revient intuitivement vers sa nature humaine qui ne se satisfait pas d’explication rationnelle (médicale, au sens positiviste du terme) mais demande une intelligence qui touche au sens de la vie et de la mort, c’est-à-dire à une dimension métaphysique de la nature humaine. Son “retour” précède sa venue à Takiwasi à partir du moment où elle se mobilise vers la récupération de son être essentiel et cherche la parole qui la nourrira, la réponse qui rassasiera sa faim de justification. Sa motivation sera manifeste dans son insitance à se rendre au Pérou malgré mes refus initiaux et en assumant les risques léthaux d’une telle entreprise. Françoise est devenue une chercheuse de vérité, au risque de sa vie, et c’est la Voix de la Vérité qui lui répondra.

Réflexion dans la perspective chrétienne

Françoise ne se positionne pas comme croyante et ne situe pas sa demande dans une perspective chrétienne. Cependant, nous l’avons signalé, sa demande est avant tout de dimension métaphysique et elle ne présentera aucune résistance face aux incorporations d’éléments chrétiens dans le rituel d’Ayahuasca, pas plus que dans le rituel de réparation des avortements. Pendant son expérience avec les plantes et le rituel, aucun élément symbolique proprement chrétien n’apparaît. Cependant, pour un chrétien, il est difficile de ne pas reconnaître Celui qui se nomme la Voie, la Vérité et la Vie.

La “tendre sollicitude du coeur de Jésus pour la conversion des pécheurs” (Mt 14,14; Lc 6,18) peut se lire dans cette humilité de Jésus d’être présent sans contraindre, sans s’imposer, sans exiger d’adhésion ou d’affiliation à son Eglise. Il s’efface pour laisser Françoise libre mais Il sera cette Voix de la Sagesse et cette Voix de la Vérité. Il la sauve d’abord pour elle-même et pas pour gagner un adepte.

Qui d’autre pourrait demander “Veux-tu être guérie?”. Et cette situation rappelle tellement la guérison du paralytique où c’est bien d’abord la guérison spirituelle qui est proposée à partir de la foi des intéressés (Mt 9,1-7) (Jn 5,6) . Françoise aussi montre cet acte de foi à travers sa motivation puissante, sa quête de vérité, l’audace d’aller chercher au loin une réponse de sens, au risque de sa vie. Elle est une fille prodigue qui, au comble de l’affliction, revient vers le Père qui donne la vie et qui se précipite en la voyant de loin pour l’embrasser avant même qu’elle ait demandé pardon (Lc 15,20) . Elle demandera pardon à son enfant et à tous ces enfants éliminés lors du rituel de réparation… elle n’accède pas encore à demander pardon directement au Père qu’elle ignore…et le recevra pourtant. La Miséricorde de Dieu se manifeste magnifiquement ici par cette offre d’un geste de réparation tellement petit par rapport aux fautes commises, mais tellement grand par la sincérité de Françoise et son authenticité.

A la troisième et dernière session d’Ayahuasca qui suit le rituel, Françoise voit une quantité de petits coeurs tout rouges monter de la terre vers le ciel. Ce sont les âmes libérées des enfants.

Si Françoise est mise face à face avec ce qu’elle est devenue et de façon non détournée, cette confrontation ne comporte aucun jugement. Jésus n’est pas venu pour juger mais pour offrir le salut aux pécheurs (Jn 3,17) . Elle n’est pas invitée à l’auto-accusation culpabilisante, marque de suggestions démoniaques, mais à la reconnaissance de la vérité sur elle-même, de sa responsabilité et en même temps que des voies d’accès au pardon et à la guérison s’offrent à elle. C’est plutôt la culpabilité, qui l’a menée à la rébellion et au partage de ce poids dans des actions pseudo-altruistes inadéquates, dont elle est libérée. Jésus est avant tout un libérateur et Il la ibère d’elle-même, de son aliénation à sa souffrance et à la manière péjorative avec laquelle elle a géré cette souffrance.

On reconnaît aussi le Père dans cette Miséricorde qui consiste à lui révéler sa faute pour lui offrir immédiatement le pardon. Françoise aurait été écrasée si elle avait eu la révélation de sa fonction “nazie”, de la réalité des crimes commis, sans que ne s’ouvre simultanément la possibilité de réparer. Dans cette pédagogie de la reconnaisance de la faute, de la demande de pardon et de la réparation en actes, c’est l’être blessé qui est conduit à cicatriser ses blessures. La révélation de son ombre est accompagnée immédiatement par la mise à disposition des moyens de s’en détacher et c’est bien là la marque de l’oeuvre de Dieu.

La transgression spirituelle de Françoise est d’avoir rendu un culte actif à l’Esprit de Mort. Face à sa souffrance, elle a préféré s’appuyer sur la haine plutôt que sur l’amour, nier sa part de responsabilité dans ce qui lui était arrivé, projeter sa culpabilité à l’extérieur plutôt que d’accéder au pardon. Or on voit qu’au-delà de son ignorance et des circonstances multiples qui atténuent cette faute, celle-ci n’est pas supprimée. Et c’est précisément par la reconnaissance de sa part de responsabilité qu’elle accède aussi à mobiliser sa liberté dans le sens de la réparation. Si Françoise n’est que la victime passive de circonstances aliénantes, elle ne peut accéder au statut d’être libre et par la même récupérer la dimension spirituelle de sa nature humaine profonde, celle d’un être spirituel.

Mais en plus de répondre à l’inquiétude centrale de Françoise et de lui proposer une réparation pour son salut et celui des enfants en question, Dieu en fait une semeuse de vie. Sa conversion (la techouva hébraïque ou la métanoïa grecque, différentes d’une adhésion à une religion ou une Eglise) est de passer du culte de la Mort à celui de la Vie, de l’officier nazie à celle qui fait reculer les hordes mortifères. C’est là le retournement que lui offre la Miséricorde du Père. On expliquera plus loin comment ce rituel, “personnel” au départ, est devenu un rituel offert à tous ceux ou celles qui ont à réparer un ou des avortements. Françoise, la semeuse de mort, par son geste courageux et sincère, est devenue par la grâce divine une semeuse de vie. Car là où abonde le péché surabonde la grâce (Rm 5,20) . Ce sont les structures-mêmes de sa personne qui sont secouées et ce séisme aniticipe un bouleversement, c’est-à-dire une conversion. Et celle-ci est rendue possible parce que Françoise, ayant enterré l’esprit de rébellion, accepte pleinement le verdict de la guérison spirituelle sans en voir les avantages au niveau physique. Françoise s’est retournée, ell e est retournée vers le Père donneur de Vie.

Le combat spirituel entre les forces de vie et celles de mort est illustré par la notion de bataille militaire et rapelle la confrontation des Armées divines du Dieu Sabbaoth et celles des Armées ennemies anti-vie du démon, les armées de Satan. Françoise s’est revêtue de l’uniforme nazi sans le savoir clairement, elle doit s’en dépouiller et devenir une Jeanne d’Arc revêtue de l’armure de Dieu (Ep 6, 12-17) . Le diable, l’en-travers , divise et sépare la mère de son enfant, il tente de désunir “ce que Dieu a uni”, leur communauté de destin spirituel. Il souhaite dévier leur trajectoire de vie pour la transformer en trajectoire de mort, de destruction, de haine. La réconciliation par le pardon et la réparation, leur permettra, comme la baleine et son petit, de nager dans ce nouvel élan de vie, côte à côte, vers le Vivant, l’océan d’amour qui est l’aboutissement de tout destin spirituel. L’avortement se révèle donc un acte de rébellion suprême qui équivaut à un culte rendu à Satan. Il s’agit proprement d’un acte démoniaque. La banalisation de l’avortement sur la scène sociale contemporaine aboutit à une minimisation de sa gravité qui est brutalement rappelée ici: un meurtre, un infanticide, un crime de lèse-humanité, rien de moins.

Le rituel assume une fonction d’interface entre le monde des réalités sensibles et celuis des réalités invisibles.

Chaque être humain est dans le désir de Dieu avant même sa conception (Jr 1,5) (Ps 139, 15) et l’avortement représente non seulement un acte criminel contre l’enfant lui-même mais au-delà manifeste un refus de la Volonté divine et de l’Amour divin. C’est l’homme qui s’insurge contre Dieu pour mépriser et contrer Sa Volonté et tenter d’affirmer la sienne propre. C’est la créature qui défie son propre Créateur. A travers l’avortement, l’homme reprend à son compte la rébellion de Lucifer et de ses anges, il s’affilie à l’Eglise de Satan. Il représente l’inconscience suprême, la négation de notre nature humaine, celle de créature, et surtout celle de Dieu comme Père de toutes les bontés. Et la légèreté croissante avec laquelle les avortements se pratiquent mérite bien la prière de Jésus sur la Croix “Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font” (Lc 23,34). Seul le sang de Jésus permet de réparer le sang répandu des avortements.

Dans la perspective chrétienne, une âme ne s’incarne pas comme si elle préexistait au corps qu’elle informe. Aussi tout le vocabulaire d’ « incarnation » sonne faux quand il suggère une antériorité de l’âme et une déconnexion de l’une avec l’autre. Lorsqu’on dit que Jésus est le « Verbe incarné », cela signifie que la seconde personne de la sainte Trinité assume la nature humaine : corps et âme. L’âme de Jésus est créée en même temps que son corps, comme pour tout homme, et c’est sa Personne divine qui s’incarne en ce corps animé. Il est donc très ambigu et même très faux de dire qu’une « âme s’incarne » et cette affirmation banalisée demande une rectification constante et systématique. L’âme des enfants avortés n’a pas pu s’exprimer pleinement en informant le corps avec lequel elle était créée ; c’est pourquoi elle est meurtrie dans le meurtre du bébé non-né. Le problème anthropologique et théologique est fort difficile à expliciter vraiment, mais l’expérience de la souffrance des mères ayant avorté justifie le recours au sacramental proposé.

Extension et généralisation du rituel

Après le séjour de Françoise, j’ai pensé que le sujet était clos et qu’il s’agissait d’une expérience propre à sa situation personnelle et limitée à cela. Cependant, nous étions confrontés en permanence à cette souffrance des avortements chez nos visiteurs. Je découvrais qu’au moins la moité des femmes sollicitant la réalisation d’un processus d’évolution personnelle à Takiwasi avec l’aide des plantes avaient connu un avortement. Or les cas convergaient pour signaler certaines constantes:

Foi et ayahuasca - Takiwasi

A chaque fois que ce thème surgissait lors d’une session d’Ayahuasca, il était toujours vécu par la mère comme une blessure profonde non cicatrisée. Et même si certaines femmes prétendaient avoir fait ce choix pour des très bonnes raisons, en accord avec leur conjoint, dans des conditions “idéales”, sans ressentir de culpabilité consciente, l’exploration des profondeurs que permet l’Ayahuasca leur révélait l’opposé. L’avortement le montrait systématiquement comme un acte contraire à la vie offerte et face auquel aucune justification rationnelle ne tenait. Dans les contextes les plus difficiles où de nombreuses circonstances paraissaient avoir conduit inéxorablement à cet acte, il demeurait le manque de foi en la Providence.

L’avortement implique des conséquences aux niveaux physiques, psychiques et spirituels. Très souvent lors des révélations surgissant à travers les prises d’Ayahuasca, les liens entre un avortement antérieur et des souffrances à ces différents niveaux se faisaient jour. Certaines femmes par exemple ne s’expliquaient pas leur stérilité alors qu’elles avaient été auparavant fécondes. D’autres comme Françoise présentaient des troubles somatiques divers sans cause apparente. De nombreux symptômes dépressifs et divers troubles psychiques trouvaient leur origine dans des actes de cette nature. Les relations affectives et sexuelles avec l’autre sexe se trouvaient perturbées et de façon parfois sérieuse et chronique. Ces liens entre avortement et troubles psychosomatiques, ce qu’on nomme médicalement le syndrome post-abortif , sont peu étudiés et généralement tenus sous silence dans la grande presse et même dans les milieux médicaux. Cette « conspiration du silence » tend à innocenter l’acte d’avorter et maintient les femmes dans une relative inconscience sur la gravité de cet acte, non seulement pour l’enfant à venir mais aussi pour leur propre santé physique, psychique et spirituelle. On voudrait faire croire qu’il s’agit d’une option philosophique neutre et les opposants sont présentés comme les défenseurs fanatiques d’un moralisme étroit. Or il s’agit d’une question de vérité et qui, même sans faire appel à la foi ou à l’adhésion aux enseignements de l’Eglise, s’impose par les conséquences négatives mesurables et prouvables à partir de simples études épidémiologiques, si tant est que le monde académique veuille bien se donner la peine de les effectuer.

L’avortement demande réparation et peut être réparé. Bien avant la venue de Françoise dont l’histoire a illustré cette affirmation, une femme thérapeute d’une quarantaine d’années, Blanche, était venue prendre de l’Ayahuasca par intérêt professionnel. Blanche était mariée et avait eu 4 enfants avec son mari avec lequel elle vivait toujours. Une cinquième grossesse non désirée leur paraît à tous deux impossible vu leur âge, le fait d’avoir déjà 4 enfants, leur engagement professionnel... Ils font partie de ces personnes qui optent “raisonnablement” pour l’avortement d’un commun accord et sans se sentir coupables de ce geste. Sa surprise a été grande quand la session d’Ayahuasca lui révèle la gravité de cet acte et de plus lui signale qu’elle est enceinte et que cette fois-ci elle ne pourra pas agir par ignorance ou inconscience, que l’acceptation de ce dernier enfant réparera sa faute antérieure. Effectivement, Blanche était enceinte sans le savoir et elle décida immédiatement de garder l’enfant qui a maintenant plus de 20 ans et dont les parents ne regrettent pas la présence… ce qui montre que cela aurait tout à fait été possible pour celui qui a été avorté. Comme pour Françoise, la révélation de la faute a été accompagnée de la possibilité de réparation immédiate.

Par ailleurs, pour de nombreuses personnes, l’avortement a joué un rôle indirect mais essentiel dans leur problématique de vie. Il s’agit de sujets qui n’ont pas été compromis eux-mêmes dans une décision d’avorter mais dont l’avortement d’un proche a eu des conséquences sur leur psychisme. Il existe le cas très classique du frère aîné (ou de la soeur) avorté par leur mère avant leur propre naissance. Ce sujet risque de porter dès sa naissance la charge de réparation de l’avortement antérieur. Cette fonction inconsciente transmise par la mère peut engendrer de forts troubles de la personnalité. Cette fonction peut aussi être consciente jusqu’à l’extrême où la maman donne au nouveau-venu le prénom préparé pour la grossesse antérieure: cet enfant est à la fois lui-même et un autre, et qui plus est un défunt (ou non-né plus exactement), schéma psychique qui peut conduire à une dissociation mentale éventuellement profonde jusqu’à évoquer une structure schizophrénique. De nombreux cas de figures sont ainsi possibles où au sujet qui va naître est assigné, inconsciemment le plus souvent, un rôle de substitut qui l’empêche de devenir lui-même, qui trouble son identité à son insu et le place, en raison du non-dit, face à des situations psychiques profondes inextricables et incompréhensibles. Pour le petit enfant contraint à endosser un rôle de remplacement au sein d’un scénario qu’il ignore, son positionnement dans la configuration familiale est irreprésentable, inintégrable et, de ce fait, source de pathologie mentale à divers degrés.

En nous basant sur le vécu de Françoise, l’avortement provoqué correspond très exactement à un assassinat qui sème la mort non seulement chez ces enfants victimes mais aussi au coeur des personnes qui le décident ou le pratiquent.

L’avortement blesse ou tue chez la femme quelquechose en elle qui est de l’ordre de son pouvoir de transmission de la vie, ce que l’on qualifie parfois “d’instinct maternel”, terme qui évoque davantage une fonction animale qu’un acte de pro-création à l’image de la création divine. Ce fait a été confirmé par plusieurs patients qui, lors du processus thérapeutique avec les plantes, ont pris conscience d’un changement dans leur relation à leur mère à partir du moment où celle-ci avait avorté, après leur naissance, d’un autre enfant. Cette modification est présentée souvent comme la perte d’un lien chaleureux, une relation plus froide et distante, plus mécanique: leur mère n’est plus la même, le “courant” ne passe plus de la même façon. Elle a amputé sa fonction maternelle d’une dimension essentielle et si elle a continué à assumer son rôle social, quelque chose est mort en elle dans le domaine psycho-affectif. Le fait de transmettre la vie apparaît ici clairement comme un acte qui déborde largement les épisodes de la gestation et de l’accouchement. La Vie transmise ne se résume pas à la vie biologique, au corps physique, mais à ce don de l’amour continu et inconditionnel qui préfigure ou illustre chez la femme cette dimension du divin. La mère est, comme la terre, avant tout nourricière, elle donne. Elle donne son corps pour la naissance physique mais elle donne aussi son coeur pour la naissance psychique. Par son esprit né à la vie spirituelle elle peut également favoriser une naissance spirituelle pour son enfant, bien que celle-ci est libre et ne dépend pas essentiellement de la mère mais du sujet lui-même. Cette offrande continuelle est, plus qu’une fonction, un don divin qu’elle redistribue à ses enfants. C’est pourquoi la femme peut devenir mère biologique et psychique dans un ordre croissant de donation. C’est la dimension spirituelle de la mère qui rend belle et juste la maternité psychique et ensuite la maternité physique. C’est pourquoi également il est possible d’être mère psychique et spirituelle pour des enfants non-biologiques (le cas de l’adoption) et mère spirituelle pour des enfants non-biologiques et non-psychiques (par exemple dans le cadre d’enfants spirituels pour des femmes engagées dans la vie religieuse, même à distance et cloîtrées).

Dans ce cadre, il convient de différencier l’avortement provoqué de l’avortement spontané ou fausse-couche. Bien entendu le degré de responsabilité personnelle dans la mort du foetus est totalement différent. De ce fait, les fausses-couches sont perçues comme des “erreurs ou corrections de la nature” pour lesquelles aucune responsabilité n’est à endosser et aucune réparation n’est nécessaire. Cependant, l’expérience contredit en partie cette affirmation. En effet, d’une part on observe parfois des conséquences négatives sur la mère et sur les autres enfants comme nous l’avons décrit antérieurement, par exemple dans le rôle de remplacement attribué à d’autres constituants de la fratrie ou encore dans des troubles physiques ou psychiques de la maman à la suite de ces fausses-couches. D’autre part, l’enfant perdu spontanément se trouve dans la même situation que les enfants avortés intentionnellement quant à leur évolution spirituelle: ils possèdent une âme qui perdure et qui n’a pu informer totalement un corps. D’ailleurs il n’est pas rare que les mamans aient eu en rêve ou par certitude intuitive une indication du sexe de cet enfant et du prénom à leur donner. Sans exclure ni affirmer la possibilité de cas où il s’agirait uniquement d’une “erreur de la nature”, ce que l’on observe est une forme de solidarité ou héritage transgénérationnels. Une transgression majeure d’un ancêtre (par exemple grand-mère avorteuse) se transmet dans les générations suivantes jusqu’à ce qu’elle soit réparée et pardonnée. La maman n’a aucune responsabilité personnelle dans la fausse-couche mais elle peut hériter d’une responsabilité familiale non assumée. Nous avons pu voir le cas de malédiction prononcée sur une famille et sa descendance et qui se manifeste de cette manière. Cela nous place face à ce mystère de la solidarité du mal ou du péché pour employer un terme plus religieux. Car la dimension spirituelle est ici indispensable pour aborder de façon intelligible ce que la clinique met en évidence. A posteriori, quand la réparation est appliquée dans ces cas, des libérations apparaissent et des soulagements physiques, psychiques et spirituels se manifestent.

En même temps que les sollicitations extérieures augmentaient et se complexifaient, je ressentais également une pression intérieure pour reprendre ce rituel de réparation pour les enfants non-nés et le proposer plus largement, sans cependant avoir l’assurance que cela fût totalement juste. Il me semblait que je pouvais m’y attribuer abusivement un rôle qui ne me correspondait pas et dépassait ma fonction thérapeutique. C’est dans ma démarche spirituelle que j’ai trouvé un début de réponse à ce doute en considérant que :

Ce rituel possède de manière évidente une dimension trans-psychique qui implique une action d’ordre spirituel. Mais il ne s’agit évidemment pas d’un sacrement. Ce rituel s’inscrit dans l’ordre des sacramentaux (comme l’usage de l’eau bénite, le signe de croix, la vénération d’une icône consacrée, etc…) dont l’accès est autorisé et recommandé à tout baptisé.

Après le séjour de Françoise, j’ai pensé que le sujet était clos et qu’il s’agissait d’une expérience propre à sa situation personnelle et limitée à cela. Cependant, nous étions confrontés en permanence à cette souffrance des avortements chez nos visiteurs.

Par le baptême, tout chrétien assume trois fonctions spirituelles: « prêtre, prophète et roi ». Or cette première dimension sacerdotale s’exerce en particulier dans la possibilité d’offrande et d’intercession, spécialement par la parole.

Je découvrais que des pratiques similaires existaient timidement au sein de l’Eglise et commençaient à reprendre vigueur. C’est en particulier en France, au sanctuaire de Cotignac (Notre Dame de Grâce, Var) , que le diocèse réalisait deux fois par an un rituel de réparation des avortements. En obtenant les textes liturgiques, je découvrais que ceux-ci étaient très proches (et certains identiques) que ceux que j’avais cru devoir pratiquer.

Dès que j’acceptais finalement d’assumer cette responsabilité, la pression intérieure cessa immédiatement et j’y perçus une confirmation que c’était ce qui m’était demandé de faire. La pratique rituelle consolida cette impression par les fruits de réparation, réconciliation et guérison physique, psychique et spirituelle. Ultérieurement un prêtre fut désigné par l’évêque de mon diocèse pour assurer un suivi pastoral à Takiwasi pour le personnel, les patients et les visiteurs qui le souhaitaient.

Sacrement et sacramental

Certains groupes proposent le baptême des enfants non-nés or cela semble tout à fait impossible : le baptême est un sacrement, et le sacrement est une grâce donnée à un vivant. L’enfant mort ne peut être baptisé tout comme une personne décédée ne peut plus recevoir l’extrême onction. C’est pourquoi le rituel proposé, qui constitue un sacramental et non un sacrement, a son importance, car il s’adresse à la miséricorde divine au-delà même des sacrements. L’application du baptême de désir (dans ce cas celui des parents et de l’Eglise), même avec la formule de précaution que l’on trouve (« S’il plaît à Dieu »), demanderait une confirmation explicite de l’évêque qui aurait à se référer alors probablement à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.

Sans doute il peut être heureux qu’un prêtre propose une consécration de ces enfants à la Vierge Marie, la Mère spirituelle de tous les croyants. Ces enfants deviennent alors de puissants intercesseurs auprès de Dieu pour leurs parents et par la médiation de la Vierge, également mère d’intercession.

Signalons aussi pour les croyants que le rituel de réparation ne vaut pas absolution sacramentelle : si la mère est chrétienne, elle doit se confesser à un prêtre autorisé pour donner l’absolution en ce cas très précis, le meurtre étant un « cas réservé » à l’évêque, qui peut donner délégation spéciale à un prêtre ; encore faut-il la lui demander.

Comme nous l’avons vu ce rituel n’est pas proprement catholique dans sa genèse ni dans son élaboration. Cependant nous y avons reconnu l’intervention de la Miséricorde divine offerte à tout “homme de bonne volonté”, croyant ou pas. Sans doute de nombreuses “Françoise” cherchent la guérison intérieure sans intégrer de façon consciente au départ la dimension spirituelle qu’elle comporte inévitablement dans le cas des avortements. Cette découverte peut apparaître au cours d’une démarche thérapeutique et conduire vers la demande de réparation, sans que cela ne signifie une reconnaissance de Jésus comme Sauveur ni de l’Eglise catholique comme lieu privilégié de la manifestation de Sa grâce. Mais Jésus nous enseigne que c’est d’abord la foi qui sauve (Lc 8,48) . Il a plu à Dieu que Françoise et toutes ceux qu’elle représente bénéficient de ses grâces de Miséricorde.

C’est pourquoi, ce rituel étant un sacramental et non un sacrement, peut être ouvert à toute personne sincère dans sa démarche et possède une relative flexibilité d’exécution et de mise en forme pour s’adapter à une grande varité de situations et de contextes.

Déroulement du rituel et recommandations

Nous souhaitons ici exposer la manière dont nous procédons au Centre Takiwasi, ce qui peut servir de référence à d’autres praticiens. Il n’est pas dans notre intention de prétendre que ce soit la seule façon de faire en ce qui concerne les détails mais il nous semble que les trois indications de base surgissant de l’expérience initiale de Françoise devraient être maintenues, à savoir:

Modelage d’un corps dans de la terre glaise et qui correspond symboliquement à la phase de gestation puis de naissance à la lumière du jour. A ce propos, dans d’autres rituels réalisés ailleurs a été proposée la possibilité de représenter le corps de l’enfant par une poupée ou un baigneur. Cette option nous paraît inadéquate parce qu’elle supprime à la fois l’ordre de la matière – la terre – empêchant également le retour ultérieur à la terre, ainsi que la phase du modelage où l’enfant est pétri par le sujet avec les sentiments d’amour et d’accueil qui ont fait défaut lors de sa venue. Le pétrissage rappelle l’acte du potier qui permet que l’informe prenne forme et signale le processus de formation et différenciation progressive de l’enfant. Les mains symbolisent cet acte co-créateur, expriment le coeur, fournissent de la droite et de la gauche les énergies permettant d’intégrer harmonieusement les fonctions masculines et féminines pour un aboutissement fécond dans un être complet. L’Adam est formé de la poussière terre (‘afar min haadamah) (Gn 2,7).

Dans d’autres endroits comme à Cotignac où nous avons pu réaliser ce rituel de réparation, la présence de l’enfant est symbolisée par une bougie ou un cierge allumé. A la suite de ce rituel, il nous a été clairement signalé que cette liturgie était incomplète du fait de l’absence d’un corps de terre, de matière dense. L’intervention d’un cierge allumé pourrait survenir au moment de la bénédiction de ces enfants comme signe de la lumière de l’esprit, mais cela nous a été présenté comme inadéquat en tant que substitution à un corps de “chair”.

L’attribution d’un nom qui singularise l’enfant, et signe une reconnaissance et acceptation de son humanité pleine par la collectivité humaine, et en particulier ses parents. Il est évidemment essentiel que ce prénom soit unique comme dans une fratrie et ne reprenne pas le prénom d’un enfant né de cette même fratrie. On recommande en général d’éviter le prénom d’un défunt afin d’éviter les confusions identitaires familiales ou se prêter à des fantasmes de réincarnation d’un ancêtre ou de tout autre personne, ce que nous assimilons à des procédures d’indifférenciation contraires à l’esprit signalé de l’unicité absolue de l’être à naître.

Le sexe de l’enfant n’a pas d’importance au niveau spirituel. Dans l’ignorance du sexe de l’enfant, si ce doute gêne certaines personnes, on propose de choisir un prénom d’écriture similaire pour les hommes et les femmes (Camille, Dominique…) ou encore de consonance identique dans les deux sexes (Michel-Michelle par exemple). Pour les chrétiens nous suggérons la possibilité de choisir Marie pour les femmes et Jean pour les hommes en référence à la scène finale de la Passion où Jésus crucifié désigne Jean comme le fils de Marie et Marie comme la mère de Jean. Marie peut symboliser ici la féminité accomplie et Jean le fils accompli (Jn 19, 26-27) . Dans le but d’une manifestation claire de l’existence et la reconnaissance de cet enfant comme sujet humain, unique et différencié, nous suggérons également que ce prénom soit prononcé à voir haute par le sujet au moment de la bénédiction. Cela souligne l’importance de rompre le silence (de mort) autour de l’être non-né et de clamer l’existence de celui dont le nom risquerait alors de ne jamais être ni prononcé ni entendu.

Le retour à la terre, l’enfouissement qui symbolise la mort du corps et la libération de l’âme, est présenté comme une condition essentielle d’accomplissement du rituel qui permet la « naissance au ciel ». La proximité de la rivière à Takiwasi nous semble circonstantielle et évidemment pas nécessaire.

Au-delà de ces trois conditions qui nous paraissent indispensables pour que le rituel garde son sens et conserve son efficacité, nous indiquons quelques recommandations supplémentaires qui correspondent à notre façon de procéder mais qui peuvent sans doute varier dans la forme selon les contextes.

Ce rituel est proposé à la fin d’un processus thérapeutique afin que le sujet soit le plus conscient possible de l’acte qu’il engage. Cela lui laisse davantage de possibilités de s’approprier son geste et d’extraire le sens profond de cette démarche. Ne s’agissant pas d’un sacrement, opératoire de par lui-même (ex opere operato), mais d’un sacramental (ex opere operantis), son efficacité dépend de l’investissement, la sincérité ou la foi de celui qui en fait la demande comme de celui qui dirige le rituel. Si dans le sacrement l’efficacité est pleine, dans le cas de ce rituel l’efficacité et les résultats sont liés aux protagonistes et à la rectitude, l’intensité et l’authenticité de leur intention. Une préparation préalable assure donc de meilleures conditions d’efficience. Il s’agit d’éviter une pratique qui ne serait que d’ordre “magique” où les gestes suffiraient sans la présence du coeur et de l’esprit qui conditionnent le résultat de cette initiative.

Comme tout rituel, celui-ci doit être encadré dans le temps par un rite d’ouverture et un rite de fermeture. C’est à cette condition que le rituel permet l’établissement d’un espace-temps particulier où la fonction symbolique est opératoire. Le rite d’ouverture comprend une demande de permission au “monde spirituel” afin que le rituel puisse être effectué et accepté, et que toute déficience, erreur ou oubli soit d’avance pardonné au nom de la sincérité de coeur et l’humilité de ceux qui y participent et de leur désir de réparer la faute commise. Il comprend aussi un exposé de l’intention de ceux qui engagent ce rituel et de la finalité recherchée dans ce geste. Le rituel de fermeture intègre à son tour une manifestation de gratitude envers l’intervention active du monde spirituel dans ce qui vient de s’accomplir.

Il est souhaitable que le rituel se réalise dans un lieu consacré et nous le célébrons pour notre part dans la chapelle de Takiwasi consacrée par l’évêque du diocèse. Après le rituel d’ouverture, les personnes sortent au dehors pour le modelage de l’enfant pendant une quinzaine de minutes. Nous insistons sur le fait que ce modelage doit d’abord être habité par les sentiments d’amour, de demande de pardon, d’accueil, de réparation qui donnent sens au rituel. Nous précisons qu’il ne s’agit pas d’un travail d’artiste où la qualite esthétique ait une quelconque importance. Ce modelage libre, sans patron, indépendant, permet les gestes de différenciation, chacun donnant la forme qui correspond à sa “vision” de l’enfant à venir: forme foetale, bébé complet, attributs singuliers… Les enfants ainsi représentés sont alors amenés dans la chapelle ce qui nous semble symboliser leur naissance à la collectivité, à l’assemblée des hommes et pour les croyants à l’assemblée des baptisés qui constitue l’Eglise mystique. C’est là qu’interviendra la bénédiction de l’enfant et de ses parents, avec de l’eau bénite, à travers la personne qui les représente, en même temps que leur nom est prononcé à voix haute. Une bougie peut être allumée à ce moment-là qui représente l’éveil de l’enfant, éveil de son intelligence, éveil de sa conscience, éveil spirituel. Cette étape représente leur existence au monde. Suivront les prières de préparation à la mort après lesquelles chacun sortira de la chapelle pour enterrer l’enfant dans une niche creusée à même le sol dans un endroit choisi individuellement au bord de la rivière. Le responsable du rituel rejoint alors chaque personne sur le lieu de l’enfouissement en terre et récite individuellement une prière qui rappelle l’acceptation désormais pleine de la loi divine et la joie de la libération qui s’ensuit. Les personnes se réunissent alors de nouveau dans la chapelle pour clore le rituel avec les prières de remerciement et de louange.

Foi et ayahuasca - Takiwasi

Il nous semble essentiel au cours du rituel de ménager plusieurs espaces où le sujet est seul à seul avec l’enfant et peut s’adresser à lui avec son coeur et ses mots, établir le lien. C’est en particulier lors du modelage de l’enfant et lors de l’enfouissement près de la rivière. La personne manifeste ses affects et son intention dans la manière d’élaborer la représentation de l’enfant aussi bien que par le choix du lieu de l’enfouissement dans la terre et les détails de la sépulture. Pendant ce temps, le responsable du rituel prie pour demander pardon à Dieu et intercède pour les enfants, les parents des enfants, les personnes qui participent au rituel et tous ceux qui directement ou indirectement ont pu participer à ces avortements. Ici nous prions en particulier le chapelet de la Miséricorde divine. Comme nous l’avons déjà signalé, pour les chrétiens, l’avortement est une faute mortelle ayant entraîné la mort de l’enfant, il convient qu’ils en demandent pardon dans une confession sacramentelle auprès d’un prêtre dûment autorisé à pardonner l’avortement.

Le rituel, dans sa totalité, dure environ une heure et demie. Dans la chapelle nous suggérons que chaque personne adopte la posture physique qui lui paraît être la plus apte à manifester son respect du lieu consacré et lui autorise le meilleur recueillement. Le responsable du rituel se tient debout et s’agenouille pour prier individuellement lors de l’absence des participants.

Différentes situations et questions se présentent régulièrement face auxquelles nous proposons les réponses suivantes :

L’idéal du père et de la mère de l’enfant avorté se présentant ensemble pour la réparation de leur acte n’est quasiment jamais réalisé. C’est donc presque toujours un seul des deux parents qui effectue le rituel. Dans la mesure du possible nous conseillons de consulter au préalable l’autre parent pour demander son approbation et le choix commun d’un prénom. Cette deuxième option se révèle souvent irréalisable du fait de la séparation des parents au niveau relationnel (divorce, séparation, décès) ou géographique. Dans ce cas nous assumons que le désir d’un seul parent est suffisant pour procéder au rituel.

Qui plus est, un certain nombre de demandes concernent la réparation d’un avortement par une personne qui en est affectée sans en être l’auteur. C’est le cas d’avortement effectué par ses propres parents ou par un membre de sa fratrie, ou plus généralement par un ancêtre ou un membre de la famille élargie. Il peut aussi s’agir d’un avortement décidé en solitaire par le partenaire du moment, sans approbation ou connaissance de la personne et parfois même contre son gré. Là encore, l’approbation des personnes concernées est souvent impossible ainsi que le choix commun d’un prénom. Cette approbation, au demeurant ne serait pas forcément obtenue de la part de personnes qui n’effectuent pas obligatoirement la même démarche ou ne sont pas animées par le même désir ou la même foi. Dans toutes ces situations nous considérons que le désir sincère de la personne qui pose la demande est une condition nécessaire et suffisante pour la réalisation du rituel de réparation.

Lors des séminaires que nous réalisons, des personnes de foi souhaitent se joindre au rituel sans être concernées personnellement ou directement par un avortement. Elles choisissent alors de prier pour les intentions des autres personnes qui réalisent le rituel pour des motifs personnels ou bien de dédier leur prière pour tous les enfants non-nés dans le monde ou des avortements génériques, comme par exemple ceux de leur famille, de leur ville, de leur pays, etc. Dans ce cas nous proposons que, comme dans le cas de Françoise, soit modelé un seul enfant symbolique qui représente tous ces enfants et qu’au moment de l’attribution d’un prénom, soit choisi un prénom générique (nous avons déjà expliqué pourquoi les prénoms de Marie et Jean nous semble appropriés) ou bien l’on se limite à manifester à haute voix son intention au moment de la bénédiction de l’enfant.

Certaines personnes ne peuvent être présentes (essentiellement pour des raisons géographiques) et nous demandent de réaliser pour elles ce rituel en fournissant le prénom de l’enfant non-né pour lequel cette intervention est sollicitée. De nouveau, le désir sincère du demandeur nous paraît la condition nécessaire et suffisante pour que nous accédions à son souhait et une personne volontaire et bénévole représente alors cette personne lors du rituel. Les guérisons qui s’ensuivent confirment a posteriori la justesse de cette pratique.

Lorsque le rituel est sollicité pour plusieurs avortements, si ceux-ci sont clairement identifiés, il est demandé à la personne de modeler un enfant pour chaque avortement et de choisir un prénom spécifique pour chacun d’entre eux. Si au contraire ces avortements ne sont pas clairement précisés (en nombre) ou qu’un doute demeure, ou encore s’il s’agit d’une réparation générique (pour les enfants non-nés de la lignée du sujet par exemple), un seul enfant est modelé qui les représente tous et un prénom symbolique générique, comme “Marie” et ”Jean” que nous proposons, peut être choisi.

La prière du rituel inclut une demande de réparation non seulement pour les parents de l’enfant non-né mais également pour tous ceux qui ont pu participer “directement ou indirectement” à ces avortements. Comme dans le cas de Françoise en effet, des tiers (son père en l’occurrence) peuvent inciter fortement à accomplir cet acte. L’avortement suppose aussi presque toujours l’assistance concrète de tiers pour l’acte abortif. Enfin, on ne peut écarter de ces considérations “l’esprit du temps” qui banalise cet acte, déresponsabilise ses auteurs, en revendique parfois-même les “bienfaits”, pervertit le concept de liberté. C’est cette corresponsabilité ou autrement dit cette “solidarité du péché” qui appelle réciproquement une solidarité de la réparation.

Le père de l’enfant non-né

Dans notre observation, il apparaît que le père est généralement moins directement impliqué au niveau de la responsabilité de l’avortement et de ses conséquences. Ce qui ne veut nullement dire qu’il en est exonéré. Mais il semble que la décision définitive en incombe plus directement à la maman qui doit être consentante de manière plus engagée puisque son propre corps est en jeu. Le consentement du père est facultatif, souvent passif, mais celui de la mère inévitable et actif. Il arrive cependant que ce soit le père qui refuse l’enfant et force sa compagne à l’avortement.

Ceci dit, il est aussi essentiel pour le père de reconnaître que les enfants non-nés issus de lui existent sur le plan spirituel et qu’il est donc leur père et pas simplement un géniteur. Il devra intégrer la présense de ces enfants comme les frères et soeurs de ses enfants vivants. Un défaut de cette reconnaissance peut induire des troubles psychiques profonds et une blessure spirituelle tout aussi importante. La réparation est donc nécessaire aussi pour le père. Même si celui-ci est dans l’ignorance de ces avortements, sa responsabilité en sera moindre sans doute, mais les liens inconscients non moins actifs.


Tarapoto, Pérou, 8 Septembre 2010.