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Hommage à Benny Shanon


Benny Shanon Takiwasi

A 77 ans, notre ami Benny Shanon vient de disparaître. Nous l’avons connu en raison de son intérêt sur l’étude des effets psychiques de l’ayahuasca.

Il a étudié la philosophie et la linguistique à l'Université de Tel Aviv, en Israël, et a obtenu un doctorat en psychologie expérimentale à l'Université de Stanford, aux États-Unis. Professeur de psychologie cognitive depuis 1976 et ancien directeur du département de psychologie à l'Université hébraïque de Jérusalem, en Israël. Son domaine de recherche inclut la psychologie cognitive, la psycholinguistique, la neuropsychologie, la sémantique des langues naturelles et la philosophie de la psychologie. Shanon a occupé des postes de professeur invité en France, en Angleterre, aux États-Unis, en Pologne, en Italie, au Brésil et aux Pays-Bas. Il a été rédacteur adjoint des revues scientifiques « New Ideas in Psychology » et « Pragmatics and Cognition ». Il a révisé des articles dans plus de deux douzaines de revues, publiés plusieurs ouvrages et écrit plus de 100 articles professionnels et présenté des documents lors de deux fois plus de congrès.

Il commente lui-même son approche de l’ayahuasca en ces termes :

« Je suis moi-même arrivé à l'ayahuasca par hasard, en tant que voyageur et curieux. Je suis psychologue cognitif et philosophe de la psychologie avec un intérêt particulier pour la phénoménologie de la conscience humaine (ordinaire). Avant de rencontrer l’ayahuasca, je n’avais ni connaissance particulière ni intérêt particulier pour les cultures sud-américaines ou les états modifiés de conscience. En 1991, une série de rencontres fortuites m'ont conduit dans une communauté amazonienne de l'État brésilien d'Acre ; c'est là que j'ai pris l'ayahuasca pour la première fois. »

Il oriente alors son travail principalement sur la phénoménologie de la conscience humaine en rapport avec les états ordinaires et non ordinaires de l’esprit. Plus précisément il conduit des recherches sur les états particuliers de l’esprit induits par les techniques millénaires des amazoniens, réalisant l’enquête la plus étendue à ce sujet dans la perspective de la psychologie cognitive.

Le contact initial s’étant réalisé auprès de néo-églises brésiliennes du Santo Daime et Benny souhaitera retrouver les usages plus traditionnels de l’ayahuasca en Équateur et au Pérou. C’est dans le contexte de cette quête scientifique et personnelle que nous rencontrerons Benny Shanon dans divers congrès comme celui organisé par le Conseil Interaméricain Sur la Spiritualité Indigène (CISEI) en novembre 2007 à Santiago Atitlán, au Guatemala. En 2009, il visite Takiwasi à l’occasion de la tenue du Congrès International sur “Médecines Traditionnelles, Interculturalité et Santé Mentale » que nous avons organisé et où il fera une intervention et rédigera un article publié dans les Actes de ce Congrès.

Nous collaborerons ensuite à un ouvrage collectif « Des plantes Psychotropes, initiations, thérapies et quêtes de soi », sous la direction de Sébastien Baud et Christian Ghasarian (Imago 2010), dans lequel il a publié l’article « Les états altérés et l’étude de la conscience : le cas de l’ayahuasca ».

Dans l'ambiance new-age de certaines réunions, Benny apporte ses connaissances académiques, mais aussi son expérience personnelle et un simple bon sens fort à propos. Il suggère que ce sont les plus rationalistes qui proposent souvent les hypothèses les moins raisonnables...

Sa mesure ne l’empêchera de formuler d’audacieuses propositions et, en 2008, dans un article publié dans « Time and Mind », il fait sensation en posant comme possible que la descente du prophète du Mont Sinaï soit « un évènement rassemblant Moïse et le peuple d'Israël sous l'effet de stupéfiants…. La consommation de psychotropes faisait partie intégrante des rites religieux des Israélites évoqués par la Bible dans le Livre de l'Exode ». Moïse aurait été sous l'emprise de substances psychotropes appelées enthéogènes, notamment lors de l'épisode du buisson ardent et la présentation des Dix Commandements. Il fait valoir que les rituels religieux des Israélites comprenaient l'utilisation du harmal et d'espèces d'acacia, deux plantes psychoactives trouvées dans le désert du Sinaï et du Néguev.

Benny Shanon a été un des premiers universitaires à étudier le contenu des visions et perceptions sous ayahuasca de façon systématique. L'orientation de son travail est phénoménologique et implique une enquête systématique sur toutes les différentes facettes de l'expérience de l'ayahuasca. Des rapports partiels relatifs à ce projet ont été publiés dans plusieurs ouvrages et articles scientifiques ; une présentation complète apparaît dans sa monographie « The Antipodes of the Mind ». Après la publication de ce livre, il a travaillé davantage sur une analyse critique de la notion d'hallucination, sur les implications de l'étude de l'expérience de l'ayahuasca pour l'investigation de la conscience humaine dans son ensemble, ainsi que sur les questions épistémologiques soulevées par l’expérience noétique vécue avec le breuvage.

En 2013, Benny Shanon tombe gravement malade, est hospitalisé, et sa présence dans le débat académique diminuera notablement.

Hommage soit rendu à cet ami, homme sensible, tendre, fondamentalement humain, capable de sérieux et d’audace, d’ouverture et de simplicité.

Jacques Mabit, février 2025.


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