En travaillant en tant que directeur de recherche à Takiwasi, un centre pionnier pour la réhabilitation de toxicomanes et la recherche sur les médecines traditionnelles, situé dans la haute jungle péruvienne, j’ai pu bénéficier d’un contact direct avec une pratique ancestrale connue sous le nom de dieta (diète). Il s’agit d’une retraite en isolement pendant laquelle le patient consomme, dans le cadre de rituels, des plantes médicinales spécifiques de la flore locale, perçues comme de véritables maîtresses, et suit un régime alimentaire spécial et des normes très strictes physiques et psychologiques. Dans son approche des problèmes de santé mentale, y compris la toxicomanie, Takiwasi associe, avec succès, psychothérapie, médecine occidentale conventionnelle et médecine traditionnelle amazonienne, la diète représentant l’une des pratiques thérapeutiques les plus importantes de ce protocole unique.

La diète, en tant qu'instrument de la tradition médicale amazonienne, s'étend aujourd’hui de plus en plus aux cultures et aux contextes occidentaux. Le Centre Takiwasi, à lui seul, depuis 1996, a accueilli plus de 2,300 personnes du monde entier spécialement venues pour essayer ce type de traitement. Environ la moitié de ce public vient de pays en dehors de l’Amérique latine, notamment d’Europe, du Canada, des États-Unis et d’Australie. Au cours du processus de traitement de la toxicomanie, qui dure environ neuf mois, un patient toxicomane fait quatre diètes. Pour ce traitement également, de nombreux patients sont d'origine internationale, ce qui contribue davantage à « l'internationalisation » de ces pratiques thérapeutiques typiques et caractéristiques de la médecine traditionnelle amazonienne péruvienne.

L'utilisation des plantes maîtresses à Takiwasi

Au sein de la médecine traditionnelle amazonienne, les plantes maîtresses sont considérées comme des êtres vivants capables de transmettre des connaissances, une fois consommées dans le cadre de rituels spécifiques tels que la diète (Luna, 1984). Cette technique rituelle est utilisée comme un outil thérapeutique depuis plus de 25 ans au Centre Takiwasi dans le cadre du protocole de traitement de la toxicomanie. Les nombreuses diètes suivies par les patients au cours de leurs soins hospitaliers sont essentielles au succès du traitement. Takiwasi utilise environ 20 espèces de plantes différentes pour ses diètes (Politi, Friso & Mabit, 2018), dont la majorité sont peu décrites dans la littérature scientifique. Un autre élément clé du traitement réside dans l'utilisation rituelle du breuvage de plantes maîtresses psychoactives appelé ayahuasca. L'état modifié de conscience généré par la consommation de ce breuvage permet aux patients du Centre Takiwasi de procéder à une introspection profonde qui les mène aux racines de leur comportement addictif. La phase suivante d’intégration psychothérapeutique de l'information reçue à travers les visions, est cruciale pour permettre aux individus de prendre conscience de leur problème et de s'engager dans une voie de catharsis (Mabit, 2001).

Usage traditionnel et moderne de la diète

Les peuples autochtones utilisaient la diète pour obtenir des enseignements sur les pratiques de survie quotidiennes telles que la chasse, la divination, la consultation des ancêtres, la guérison et le leadership (Sanz-Biset & Cannigueral, 2011). La diète représente également une étape fondamentale lors de l'apprentissage ou l'initiation d'un futur chaman (Jauregui, Clavo, Jovel & Pardo-de-Santayana, 2011). Le Centre Takiwasi a pu observer, en se basant sur son expérience, que de nombreux curanderos ont découvert leur capacité de guérir autrui suite à leur traitement à base de plantes maîtresses (Torres, 1998). La guérison et l'apprentissage ont lieu pendant ce qu’on appelle la mareación, ce mot désigne les expériences d'états modifiés de conscience dans la langue locale. La diète permet aux patients, toxicomanes ou pas, de faire face à leurs blocages et à leurs traumatismes psychologiques et sociaux, d’établir un contact privilégié avec la nature et leur moi intérieur, et de se consacrer à une purification holistique qui élimine des éléments toxiques aux niveaux physique, émotionnel, mental et spirituel. Cela leur permet en même temps d'élargir leurs perceptions, de renouer avec des émotions refoulées, de purifier et de fortifier leur corps et de se connecter à la dimension sacrée de la nature.

Au sein de la médecine traditionnelle amazonienne, les plantes maîtresses sont considérées comme des êtres vivants capables de transmettre des connaissances, une fois consommées dans le cadre de rituels spécifiques tels que la diète.

Les règles qui accompagnent la prise de plantes

Si le choix de la plante à prendre est important, les restrictions qui accompagnent la diète le sont encore plus (Giove, 2002). Les règles qui accompagnent la consommation de plantes maîtresses jouent un rôle clé pour l'augmentation de la force de l'état modifié de conscience et permettant ainsi à la personne d'entrer en contact avec l'esprit de la plante. Les principales restrictions du protocole de diète proposé au Centre Takiwasi sont les suivantes : isolement ; les règles d’alimentation (normalement seulement le plantain vert bouilli [inguiri] et une portion de riz ou d'avoine, deux fois par jour, sont permis) ; il faut éviter le sel et les sucres en tout temps, ainsi que l'alcool, le porc et les aliments épicés ; il faudrait éviter ces derniers jusqu'à quatre semaines après la fin du processus, dans ce qu'on appelle le post-diète. Il faut également éviter l'exercice physique excessif, les environnements chaotiques, l'exposition au soleil, à la pluie, au feu et aux odeurs excessivement fortes ; l’abstinence sexuelle totale (masturbation et rapports sexuels) est requise.

Le processus post-diète

À la fin de la diète, le guérisseur fait une « soplada » (souffler de la fumée de tabac) sur les principaux points énergétiques des patients. Il leur administre également un mélange de citron, d'oignon haché, d'ail, de poivre et de sel pour couper (cortar) la diète et fermer le corps énergétique qui est resté ouvert et très sensible pendant la période d'isolement. Le travail des plantes persiste, même après cette phase, le patient doit donc respecter les restrictions prescrites pendant toute la période de post-diète. Il semblerait qu'une grande partie de l'effet de la diète repose sur le processus d'intégration qui vient après. Les guérisseurs amazoniens estiment qu’il est essentiel de respecter les règles du post-diète pour que l’intégration se déroule correctement à tous les niveaux, afin d’éviter les risques liés à la « cruzadera », terme qui désigne une interférence énergétique pouvant causer des troubles de divers types, du plus léger au plus grave.

Diète amazonienne dans les contextes occidentaux

La diète en tant qu'outil thérapeutique est de plus en plus populaire dans le monde entier, et les Occidentaux se rendent dans diverses régions amazoniennes pour recevoir ce type de traitement, contribuant ainsi à ce que l'on appelle le « tourisme chamanique ». Quelques expériences novatrices reproduisant la diète dans des environnements autres que l'Amazonie, en utilisant des plantes de la flore locale, sont également en cours. Ces expériences se déroulent en France, toutefois nous avons constaté, ces dernières années, qu’elles se diffusent vers d’autres pays européens tels que l’Espagne, le Portugal, les Pays-Bas et l’Irlande, ainsi que vers le Canada et les États-Unis.

Résultats et valeur thérapeutique

Dieta

La valeur thérapeutique de la diète semble dépendre d’une combinaison de plusieurs facteurs différents (plantes maîtresses, isolement, jeûne, etc.). D’après Jacques Mabit, médecin, guérisseur et fondateur du Centre Takiwasi, les changements observables chez une personne après une diète sont en lien avec sa structure, ce qui veut dire qu'ils se maintiennent dans le temps. La personnalité, la manière de se rapporter au monde extérieur, la capacité à explorer son univers intérieur et à développer une vie onirique, sont tous modifiés de manière durable. C’est pour cette raison que la diète est considérée comme essentielle pour la guérison à long terme et constitue le principal outil d'apprentissage pour ceux qui sont initiés au curanderismo amazonien. D'après l'observation et l'expérience clinique du personnel thérapeutique de Takiwasi, l’un des résultats communs après la première diète d'un patient toxicomane, généralement programmée au troisième mois de traitement, est la réaffirmation du désir de guérir. À partir de ce moment, le patient commence à devenir plus honnête avec les thérapeutes et à s’ouvrir davantage à ces derniers. Pour la première fois, il y a une révélation sincère sur les véritables intentions et sentiments en jeu. Le patient revient dans la communauté thérapeutique avec un sentiment renouvelé d'appartenance au groupe.

Considérations sur la relation entre l'homme et la nature

Au cours d'une diète, les gens passent souvent beaucoup de temps en silence en évitant d'utiliser le langage verbal, ce qui réduit l'activation de certains circuits du cortex cérébral qui, dans un état de conscience ordinaire, rendent les fonctionnalités rationnelles prédominantes. En limitant partiellement la pensée logique, nous accordons plus de place à la sphère plus intuitive et instinctive, généralement refoulée dans la vie quotidienne de l'Occidental moyen. L’immersion totale dans la nature permet souvent d’observer pour la première fois le microcosme varié des insectes d’Amazonie, tout en étant entouré de mélodies répétitives d’oiseaux, de cigales ou de grenouilles. Parfois, la rencontre visuelle avec des animaux plus grands, en particulier les singes et les paresseux, peut contribuer davantage au sentiment de « renouement avec la nature », comme le témoignent souvent les participants issus de milieux urbains. La forme de ces animaux, semblable à la forme humaine, pousse les individus à prendre conscience que l’être humain n’est qu’un animal parmi tant d’autres peuplant la planète, et à se positionner, de manière plus équitable, par rapport aux autres êtres vivants. Cela peut entraîner un sentiment d’appartenance à un ensemble égalitaire, caractéristique de plusieurs cultures mystico-religieuses différentes, qui dans certains contextes peut provoquer une véritable extase.

Conclusion

Nous pouvons nous attendre à ce que l’intérêt croissant que suscite actuellement la diète, notamment dans un contexte de « tourisme chamanique » en Amazonie péruvienne, amène des chercheurs scientifiques universitaires à étudier cette technique de la tradition autochtone en profondeur, comme c’est actuellement le cas pour les cérémonies d'ayahuasca, un breuvage psychotrope bien connu. La diète des plantes maîtresses pourrait être intégrée au sein de la culture occidentale non seulement comme un outil thérapeutique, mais aussi comme un moyen d’alimenter l’écologie du futur. L'étymologie du terme « écologie » fait référence au concept de « discours sur la maison / l’habitat ». À travers les diètes de plantes issues de la flore locale, les messages et les idées des plantes, reçus directement, peuvent être inclus dans ce discours. Ce n’est pas par hasard que les plantes sont parfois définies comme des « personnes non humaines » (Daly, 2015).


1 Article publié en anglais sur Chacruna.net le 27 septembre 2018: Healing and Knowledge with Amazonian Shamanic Diet. Traduit en français par Caroline Fidalgo.
2 Matteo Politi a un doctorat en chimie des produits naturels, avec une spécialisation en naturopathie, et il est directeur de recherche au Centre Takiwasi. Il a publié des articles dans diverses revues scientifiques et des magazines populaires sur des sujets liés à la phytochimie, à la phytothérapie et aux thérapies holistiques.