Noël, le jour de ceux qui ne sont rien
Les êtres humains craignent tellement Dieu qu’Il a choisi de venir sous les apparences d’un enfant inoffensif : qui aurait peur d’un nouveau-né ? Sans doute Hérode craignant le potentiel Roi qui pourrait lui faire ombrage mais aussi les contemporains répétant son horrible geste mais, plus prévenants, n’attendant pas que l’enfant naisse pour le « laisser s’en aller » après l’avoir cependant invité à l’existence. Il pourrait aussi faire ombrage à leurs projets.
Dieu nous est-il secret parce qu’il joue à cache-cache ou bien parce qu’on ne voit pas ce qui est trop simple, évident, dévoilé ? Il nous faut des écrans, des titres ronflants, des références scientifiques ou théologiques, des traités érudits, les trompettes des chevaliers de l’Apocalypse…
Dans cette succession incessante de révélations fracassantes, de scandales de toutes sortes balayés par d’autres le jour suivant, de complots dévoilés, de groupes secrets d’influence enfin découverts, l’humilité de Dieu passe inaperçue. Elle est trop élémentaire, pas assez sophistiquée pour nos intelligences complexes. Trop de fixité, stabilité et immuabilité pour nos esprits-girouettes happés par mille sollicitations.
Je pensais au serpent qui, paraît-il, voit ses proies par contraste des mouvements. Si la proie reste immobile, il ne la voit plus. Dieu a cette immobilité, toujours le même hier comme aujourd’hui et demain, et il disparaît ainsi à nos regards quêtant le mouvement permanent.
Le moine bouddhiste que j’avais rencontré en Thaïlande et qui, dans sa vision d’un bouddhisme de compassion recevait des toxicomanes, m’était apparu en rêve pour me dire « Retiens bien cela : c’est la bonté qui construit le monde ». Tandis que les forces de destruction font un vacarme assourdissant, la bonté diffusée silencieusement, secrètement, au jour le jour, avec naturel et authenticité, c’est cette bonté qui entretient la vie, la transmet et maintient le monde encore debout.
Chaque jour ce sont des milliers de personnes avec des milliers de gestes d’amour et d’affection, de courage et de générosité, discrets, inaperçus, qui maintiennent la vie. Leurs auteurs ne recevront ni reconnaissance, ni félicitations, ni médailles, ni titres dans les journaux. Tout est gratuit, n’appelle aucun retour et échappe à la loi du marché qui n’a aucune prise sur ce capital de vie. Cette victoire de la vie au quotidien justifie toute existence et lui attribue sa dignité.
Face à la souffrance, l’épreuve, les pressions mortifères, les menaces, cette défense de la vie peut prendre des dimensions parfois héroïques.
Des femmes enceintes accueillent leur enfant dans des conditions difficiles alors que tout semble se liguer pour qu’elles recourent à l’avortement.
Des conjoints veillent avec attention et patience, nuit et jour, sur celui ou celle qui est malade, dépendant ou encore subit des pertes cognitives.
Des personnes très âgées continuent de sourire sans se plaindre malgré leur grand âge, édifiant tous ceux qui en prennent soin.
Des personnes déprimées, ayant perdu le goût de vivre, résistent à leurs idées suicidaires avec grand courage.
Des bébés en survie, grands prématurés ou avec un handicap, édifient ceux qui s’en occupent par leur volonté de vivre.
Des personnes gravement malades donnent un sens à leur vie en traversant cette épreuve avec courage et dignité, en exprimant affection et gratitude.
Des parents d’un enfant porteur d’un handicap qui se dévouent sans relâche auprès de lui, pour qu’il ait la meilleure qualité de vie possible.
Des soignants refusent fermement de participer à des actes portant atteinte à la vie humaine malgré les pressions.
Des couples souffrant d’infertilité qui renoncent aux techniques artificielles de procréation, au nom du respect de la vie.
Des personnes porteuses de handicap témoignent avec courage de leur joie de vivre et montrant autour d’elles que toute vie vaut la peine d’être vécue.
Des volontaires engagés auprès des personnes malades, âgées, dépendantes, en prison, ou en fin de vie, les réjouissent par leurs visites fidèles et leur présence.
Des responsables politiques osent contester publiquement avec audace les atteintes à la vie.
Tous, ils humanisent notre société. Et c’est à chaque fois Noël dans les cœurs, Dieu qui naît, le surgissement de la grande Lumière qu’ont pu voir les humbles les bergers et qui réjouit tous les hommes de bonne volonté.
Jacques, Noël 2024.
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